Les toilettes de deuil en 1880
Je reviens comme promis pour continuer ma petite revue de la mode en 1880 d’après les rubriques « Modes » de l’intégrale de la Mode Illustrée de l’année 1880. Je suis un peu en retard par rapport à mon programme, mais j’ai eu quelques galères et j’ai notamment eu du mal à trouver des illustrations pour cet article.
Je voulais mentionner les toilettes de deuil en 1880 parce qu’elles répondent à une étiquette assez stricte qu’on ne s’imagine pas tellement aujourd’hui. Audrey avait déjà évoqué la toilette de deuil autour de 1860 (je vous conseille d’aller lire ses articles sur le sujet ici et là) et ce que j’ai trouvé en 1880 est du même ordre, même si ce n’est pas aussi développé. Malheureusement l’intégrale de 1880 de la Mode Illustrée n’évoque le deuil que brièvement et je n’ai pas trouvé de modèles de toilettes de deuil reproduits dans le magazine, je n’ai donc pas d’images très précises à vous montrer.
La question de la couleur
Naturellement, la couleur joue un rôle dans la toilette de deuil, qui est globalement noire :
« il ne se fait plus guère de robe en étoffe toute unie, et les robes de cachemire noir ne se portent plus toutes noires que pour les toilettes de deuil. » La Mode Illustrée, 9 mai 1880.
Si la couleur noire frappe évidemment les imaginaires lorsque l’on parle de toilette de deuil il faut tout de même remettre les choses à leur place et préciser que ce n’est pas parce qu’une robe est noire qu’elle est de deuil. Particulièrement en cette année 1880 ou le noir est très à la mode.
« Précisément en raison de la grande quantité de toilettes noires, grises, lilas que la mode préconise cette année, le deuil et le demi-deuil sont plus sévères que jamais afin d’éviter toute confusion » (La Mode Illustrée, 8 août 1880)
Ainsi donc la couleur, si elle est codifiée, passe après un autre élément imposé par la bienséance : les matières.
Ce que la bienséance impose en termes de matières
Dans le n° du 23 mai 1880, Emmeline Raymond, la seule et unique, nous dit par exemple que les tissus de laine transparents ne conviennent que pour le demi-deuil, tout simplement parce qu’on est obligé de porter un lainage transparent sur un fond en soie et que la soie est proscrite lorsque l’on est en grand deuil.
« On m’interroge aussi sur les tissus de laine noire légers, attribués aux toilettes de deuil pendant l’été. Ces tissus qui doivent être légers sans être transparents, puisque dans ce dernier cas on ne saurait les employer sans leur adjoindre un dessous en soie, inconciliable avec l’étiquette qui préside au deuil, sont actuellement la toile de laine et la mousseline de laine noires. Le tulle hindou, la grenadine et le voile noirs, sont réservés au demi-deuil, parce que ces tissus ne peuvent se porter que posés sur de la soie. »
L’étiquette du grand deuil
Dans le n° du 8 août 1880, Emmeline Raymond prend sur elle de répondre à ses lectrices qui la « questionnent fréquemment sur une infinité de détails concernant les toilettes de deuil » et décrit davantage l’étiquette du deuil, qui a une importance sociale énorme.
« Les personnes correctes, celles qui même sans éprouver une affliction très intense, entendent se conformer aux lois du décorum, portent, je le répète, les toilettes de deuil et de demi-deuil extrêmement simples.
La première robe de grand deuil est longue, tout unie, sans aucune garniture. Pour l’été, cette robe se fait en toile de laine, tissu extrêmement léger. Pour l’été aussi, le châle long est en grenadine de laine noire, simplement ourlé sur son contour. La robe unie et le châle long représentent l’uniforme du deuil et la coutume qui régit cette matière est d’autant mieux observée qu’aucune loi n’oblige à s’y conformer. Aucune loi… l’affirmation n’est pas tout à fait exacte ; car on ne saurait éluder cette coutume sans être en contravention avec les lois du décorum. Le bon goût s’oppose absolument à ce que l’on exploite la toilette de deuil comme matière à toilettes, et nous impose l’obligation de paraître indifférentes à notre habillement, quand même nous aurions le malheur d’être insensibles à la perte d’un parent ou d’une parente très proche. (…)
Ce n’est point par hypocrisie que l’on portera correctement même le deuil d’un parent que l’on regrette peu, ou que l’on ne regrette pas : c’est par respect pour les liens qui nous unissaient à lui, par déférence pour un usage universellement adopté et surtout… surtout… pour éviter de nous faire remarquer, de donner lieu à la critique ou même au scandale. » La Mode Illustrée, 8 août 1880.
Ce dernier passage est très parlant sur les contraintes sociales qui se jouent dans le port du deuil d’un proche.
Voilà j’espère que ces quelques passages pourront vous intéresser, même si l’article n’est pas aussi complet que celui sur les toilettes de jour, de soirée ou les pardessus.
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Finalement ça reste surtout une question de matière. J’ai du mal à comprendre cette obsession de la laine… mais c’est amusant car on retrouve presque les mêmes phrases dix ans plus tard ! Et je suis bien d’accord avec toi sur l’illustration…trop parée et avec des matières interdites. Je pense que même les musées se laissaient aller à cataloguer facilement noir=deuil.
Pour la laine la seule explication que je vois c’est le prix du tissu, mais vraiment sans certitude. :-/