[1880] Les toilettes de jour à la mode
On continue notre décryptage de la mode en 1880 selon les rubriques « Modes » d’Emmeline Raymond dans la Mode Illustrée de janvier à décembre 1880 avec les toilettes que l’on porte en journée. Ce qu’il faut noter c’est que « la mode, en tant que règle absolue, universellement acceptée, n’existe plus ; il n’y a pas une mode, il y en a plusieurs… », ce que l’on peut traduire par : comme aujourd’hui, les femmes de 1880 faisaient un peu ce qu’elles voulaient.
En 1880, Emmeline Raymond ne cesse de le répéter, il est très à la mode de marier différents tissus notamment d’allier motifs et unis. À l’hiver 1880 (janvier/février), alors que ce n’était pas du tout la mode auparavant, on peut porter des jupes de dessous rayées, mais pour que ça s’harmonise avec goût, mieux vaut privilégier dans ce cas un tissu uni pour le corsage et le drapé. Par la suite dans l’année, les tissus à motifs sont plutôt des soies brochées ou des foulards à motifs, puis à l’automne ils sont remplacés par des tissus à carreaux. Au niveau des couleurs : « Toutes les teintes foncées sont à la mode pour l’hiver, toutes les teintes claires sont à la mode pour l’été ».
D’ailleurs on aime aussi jouer avec différentes couleurs en janvier 1880 : dans les revers ou dans différentes pièces du vêtement.
« Le mélange des tissus continuera à favoriser les combinaisons économiques, qui permettent de remettre à peu de frais une robe ancienne à la mode actuelle. »
Au point que « il ne se fait plus guère de robe entièrement en étoffe tout unie, et les robes de cachemire noir ne se portent plus toutes noires que pour les toilettes de deuil ». Le cachemire noir est très à la mode, mais il est toujours garni de soie brochée ou de fantaisie brochée. Par contre, attention, on ne mélange pas deux tissus à dessins, ça c’est la faute de goût assurée. Pour nous, costumiers et costumières amateurs ou non on peut donc se dire qu’on peut y aller avec le mélange de tissus, encore qu’a priori l’uni et les motifs doivent être globalement de même teinte (à moins qu’il ne s’agisse d’une toilette très habillée du soir, ce qui ne nous intéresse pas ici).
Dans presque tous les numéros de l’année Emmeline Raymond répète que la mode, en 1880, est très économique puisqu’elle permet pleins de combinaisons. Cette information nous intéresse grandement, nous qui faisons des costumes historiques pour des sorties. Plutôt que nous coudre une robe pour chaque occasion on peut aussi penser aux combinaisons hauts/jupes/surjupes, etc., ce qui peut nous permettre d’accorder beaucoup plus d’importance aux accessoires fondamentaux de la toilette (j’y reviendrai dans un autre article, mais vous pouvez d’ores et déjà jeter un œil à un article qui en parlait déjà un peu).
Les types de toilettes de jour en 1880
« Les toilettes du matin sont extrêmement simples et, suivant la saison, de couleur sombre ou neutre. Le but que le bon goût se propose est celui-ci : passer inaperçue. » La Mode Illustrée, 20 juin 1880.
« Pour les toilettes de rue, celles qui circulent à pied et dans la matinée, on recherche les combinaisons les plus simples… » La Mode Illustrée, 5 septembre 1880.
Ces toilettes du matin sont de couleur sombre, quand elles ne sont pas noires : gris hussard, café brûlé, loutre, gros vert et bronze. Qu’on se le dise, le matin, on reste discrète dans sa tenue :
« On est chic quand on va au marché avec un chapeau très simple, une toilette courte, sans ornements attirant le regard et faite en lainage à bon marché. » La Mode Illustrée, 3 octobre 1880.
Dans mes articles précédents sur le mythe de la Parisienne j’avais déjà évoqué les différents types de toilettes de journée. Ces toilettes qui sortent en plein jour doivent être irréprochables parce que c’est elles qui sont jugées par les pairs. Avant de faire des recherches sur l’histoire du costume j’avais le sentiment que l’on mettait le paquet le soir, mais en réalité ce n’est pas logique : en effet, comme je l’avais déjà signalé dans mon article sur les tenues de soirée, Emmeline Raymond précise bien qu’il faut des robes de dîner et de bal si l’on est susceptible de participer à ce genre d’occasion. Ainsi n’importe qui ne sort pas dans des bals ou des dîners, il faut déjà avoir un certain standing. La tenue la plus importante est donc, logiquement, la toilette de visite ou de promenade de l’après-midi.
« robe du matin pour sortir, – robe d’intérieur ; – robe de visite et de promenade – » La Mode Illustrée, 3 octobre 1880.
« Le matin et jusqu’à quatre heures, le costume en laine, ou bien mélangé de soie ou de velours. Depuis quatre heures, la soie avec mélange de peluche, ou de soie unie si la robe est brochée, de soie brochée si la robe est unie. » La Mode Illustrée, 12 décembre 1880.
Encore une fois, c’est le tissu qui confère ou non de l’élégance à la toilette. Ainsi Emmeline Raymond nous dit que le tissu broché en soie, d’un prix toujours très élevé, « communique à la toilette un degré d’élégance qui ne convient pas à toutes les heures de la journée, pas plus qu’à toutes les circonstances de la vie. »
« Les costumes du matin en toile imprimée ou toiles de Vichy se composeront d’une jupe et d’un casaquin, mais un vrai casaquin, tel qu’on en porte au village : assez long, non ajusté devant, avec coulisse par derrière, à la hauteur de la taille. » La Mode Illustrée, 23 mai 1880.
Je précise ici qu’il faut opposer toile à tissu de laine, du coup j’imagine que les toiles peuvent être de lin ou de coton ?
« Les toilettes du matin, et pour les jeunes filles, les toilettes de petites visites entre amies, se font de plus en plus en cheviot quadrillé, à carreaux si menus et si fondus qu’on ne saurait, à quelques pas de distance, les distinguer d’un tissu uni. » Il offre « plus de résistance que l’uni aux petites taches. » La Mode Illustrée, 21 novembre 1880.
Le cheviot fait aussi plus jeune et moins sévère qu’un tissu uni très foncé. Le cheviot est garni de biais de cachemire uni de la même teinte que la couleur la plus foncée du cheviot. Au-dessus de chaque biais est placé un liseré plat en cachemire uni de la couleur la plus vive du cheviot. « Cette garniture se répète partout : au-dessus des volants plissés, sur le corsage, sur le bord inférieur des manches, en guise de col, aux poches. »
Sur la construction des jupes
La construction des robes semble être tellement complexe en cette année 1880, qu’Emmeline Raymond revient plusieurs fois sur le sujet pour l’expliquer à ses lectrices. On peut donc en déduire que cette façon de construire les robes est plutôt récente et dans notre cas ça nous arrange plutôt parce que ça nous permet de comprendre comment nous faire des vêtements de cette période sans trop galérer :
« Il serait assez difficile de faire comprendre la composition actuelle d’une robe, si l’on ne procédait par une description minutieuse. Telle qu’elle est, une robe semble composée d’une jupe, de pans de tunique ouverts sur cette jupe, et enfin d’une robe ouverte sur ces pans de tunique. Je dis semble parce que, en réalité, tout cela, au lieu de représenter trois robes posées l’une sur l’autre, se compose de morceaux juxtaposés, appliqués chacun à la place qui lui est attribuée, sur une jupe que l’on nomme, en termes du métier, la fondation. Suivant les toilettes ou la dépense que l’on veut faire, la fondation (qui, du reste, ne se voit pas du tout) est faite en soie, ou bien en batiste de coton, point très-raide, assez ferme cependant, et de tissu assez serré pour supporter tout l’échafaudage de la robe. Sur cette fondation on applique d’abord le devant de jupe, morceau qui figure la jupe de dessous ; on encadre diversement ce devant de jupe avec des pans de tunique, des quilles, de revers ; puis on y fixe la robe proprement dite, celle qui semble s’ouvrir sur l’encadrement du devant de jupe. Pour celui-ci, on choisit en général, – et pourtant l’inverse se fait aussi, – un tissu uni ; l’encadrement (pans de tunique, quilles ou revers) se fait en tissu à dessins, tandis que la robe proprement dite sera faite en tissu uni, lequel pourra différer totalement du devant de jupe. Celui-ci, au contraire, devra s’harmoniser avec son encadrement, quelle que soit la forme qu’on lui donnera. » La Mode Illustrée, 29 février 1880.
En 1880, c’est l’adoption généralisée de la « robe ronde » pour le jour, c’est-à-dire une jupe plutôt courte, sans queue. En outre, les jupes sont « plates », c’est-à-dire peu bouffantes :
« La platitude dont on pensait avoir triomphé, va, au contraire, gouverner la mode future. Les jupes plates devant, plates sur les hanches, seront un peu soutenues seulement par derrière. Les manches seront plates ; les corsages, tout ce que l’on pourra faire de plus plat ; et même les fanatiques de la mode porteront des corsages faits en un tissu assez pareil à celui des maillots de danseuse. » La Mode Illustrée, 22 août 1880. (Je vous avoue que je n’ai aucune idée de ce à quoi ressemblent les tissus de maillots de danseuses en 1880 parce que bon, j’imagine que c’était pas en Lycra…)
Concernant les « fondations » qui servent à monter la jupe, elles sont très simples à réaliser :
« Je leur dirai qu’il n’y a plus de jupes : il n’y a que des fondations, sur lesquelles on construit l’édifice de la jupe de dessus, composée de beaucoup de pièces et d’une foule de morceaux ; or la fondation est une jupe unie toute ordinaire, de tous points semblable à un jupon de percale. » La Mode Illustrée, 11 avril 1880.
Je vous conseille d’aller jeter un œil au livre de Frances Grimble dans lequel vous devriez trouver des patrons qui se rapprochent de ce jupon de percale.
Emmeline Raymond nous donne également des indications quant au métrage à utiliser :
« En général il faut compter sur un total de 18 mètres des deux tissus (à dessins et uni) et suivant que l’un ou l’autre devra dominer dans l’ensemble, on en prendra une quantité supérieure à celle de l’autre tissu. » La Mode Illustrée, 11 avril 1880.
Sachant que d’après ce que j’ai lu il semble que la largeur des lés oscille entre 60 cm et 120 cm. Dans le n° du 13 juin 1880, Emmeline Raymond explique par ailleurs que la largeur normale des jupes est de 2,20 mètres et nous donne un « secret professionnel » pour faire une jupe plissée perpendiculairement tout autour :
« On prend les lés dans une étoffe ayant 60 cm. Si l’étoffe à 120 cm de largeur, il suffit de doubler les proportions qui vont être indiquées. On plisse chaque lé de 10 en 10 cm. Cela forme un pli de 3 cm, 6 dans le lé, qui réduisent celui-ci à 20 cm de largeur. On plisse tous les lés avant de les assembler.
Pour former une jupe ayant 2,20 mètres de largeur, – ce qui est la largeur normale des jupes actuelles, – on emploie 6,60 mètres de largeur d’étoffe ; en d’autres termes autant de lés qu’il en faut pour former une largeur de 6,60 mètres.
On doit éviter de grossir la taille par l’épaisseur des plis ; on prendra donc, quand la jupe sera plissée, le soin de replier chaque pli à moitié l’un sur l’autre, à partir du milieu du devant de la jupe jusqu’à la hanche ; à partir de la hanche jusqu’à l’ouverture de la jupe par derrière, les plis devront se trouver l’un sur l’autre, et l’on aura soin de passer un fil (pour maintenir les plis) à partir de la taille, en biaisant sur une hauteur de 40 cm.
Les femmes qui ne sont pas très minces monteront ces jupes entièrement plissées sur une ceinture ronde, dite ceinture de jupon, ayant 15 cm de hauteur par devant, 20 cm de hauteur par derrière. Ces indications sont données pour les jupes pli sur pli. Quand on voudra avoir une jupe moins lourde, on diminuera d’un tiers la largeur totale de la jupe (avant d’être plissée) et l’on mettra quelque espace entre chaque pli. Ajoutons que l’on fait des jupes plissées partiellement : on plisse seulement le lé de devant ou seulement le lé de derrière ou seulement les deux lés des côtés sous le bras, le reste de la jupe étant traité comme les jupes ordinaires. » La Mode Illustrée, 13 juin 1880.
En novembre 1880, Emmeline Raymond nous dit aussi qu’on voit beaucoup de robes « princesse » (appellation toujours employée aujourd’hui pour signifier qu’il n’y a pas de couture à la taille), c’est-à-dire qui sont en un seul morceau devant, mais avec des basques derrière.
Et les jupons ?
« Les jupons de dessous se feront très souvent assortis à ces toilettes, c’est-à-dire qu’un volant plissé très fin, garnissant l’un de ces jupons, sera de même couleur que les ornements de la robe, cette couleur fût-elle très tranchante, fût-elle rouge. » La Mode Illustrée, 5 septembre 1880.
Un grand nombre de jupons de jour sont faits en surah noir, exit donc le blanc, comme je vous l’avais déjà dit dans l’article sur les tenues de soirée. Sinon on a aussi une description du modèle de jupon à la mode en 1880, mais j’ai encore un peu de mal à visualiser :
« Un jupon de satin noir, doublé de peluche bleue ou rose, avec balayeuse blanche, plissée, à moitié voilée par une dentelle noire posée presque plate, est le nec plus ultra des jupons en cette année 1880. » La Mode Illustrée, 28 novembre 1880.
La longueur des manches
En juillet 1880, Emmeline Raymond nous dit :
« À ne considérer que l’ensemble des toilettes, on affirmerait volontiers que la mode reste stationnaire. Les jupes courtes ou longues se taillent de même façon, depuis un nombre d’années déjà considérable. »
On garnit les jupes de toutes les façons, il n’y a rien de vraiment nouveau. Pourtant chaque saison a un aspect particulier, qui tient aux détails. Or, en 1880, ce qui est à la mode ce sont les manches demi-longues pour le jour, nous dit Emmeline Raymond, et cela suffit même à donner à une robe ancienne un aspect moderne.
En été, les manches ne dépassent pas le coude, mais « comme on ne saurait montrer dans la rue des bras nus, les gants fort longs rejoindront exactement la manche ». Même au logis on porte, avec ces manches courtes, des mitaines (mitaines marianne en soie de teinte assortie à la couleur principale de la toilette, mitaine noire en filet uni ou en filet perlé).
Sur les effets de transparence
L’emploi de tissus transparents toujours doublés de soie me laisse perplexe. En effet, le 13 juin Emmeline Raymond nous dit que c’est à la mode et le 27 juin elle nous dit que « la mode actuelle repousse absolument le transparent tendu sur une robe quelconque, à quelque titre que ce soit », du coup à ce niveau là je ne sais pas trop quoi penser. En tout cas cela veut dire que c’était à la mode au moins fin 1879/début 1880 et que donc, en tant que costumiers et costumières on peut se faire plaisir. En revanche, pour le jour, les tissus transparents doivent être intégralement doublés de soie : pas question de laisser voir un chouille de peau.
Voilà donc le résultat de ma prise de note concernant les toilettes de jour, c’est un peu dense, j’espère que j’ai fait le tour. Je vous ferai plus spécifiquement un article sur les pardessus, paletots et compagnie (parce qu’il y a beaucoup à en dire) et un article sur la toilette de deuil également. N’hésitez pas à laisser un commentaire si vous avez des éclairages à apporter sur ce contenu. J’espère que cela pourra vous être utile, quant à moi je vous dis à très bientôt !
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