[1880] Tout savoir sur les toilettes de soirée

[1880] Tout savoir sur les toilettes de soirée

Cela fait longtemps que je dois écrire cet article, et je m’y attelle enfin. Je commence mes compte-rendus de lecture sur les toilettes féminines en 1880 (selon La Mode Illustrée) par les toilettes de soirées parce que j’avoue que ça m’énerve un peu que dans le milieu du costume historique français il semble globalement admis que la tenue de soirée doive être largement décolletée. Or, il y a beaucoup plus de nuances que ça dans l’étiquette de la mode. Nuances qu’Emmeline Raymond, rédactrice en chef (unique rédactrice en fait) de la Mode Illustrée, se charge de nous donner en long et en large.

En octobre 1880, en répondant à une lectrice qui s’interroge sur le chic indétrônable des Parisiennes, elle indique quels types de robes une Parisienne doit avoir dans son dressing : « Elles (les Parisiennes) ont une robe de chaque genre ; robe du matin pour sortir, – robe d’intérieur, – robe de visite et de promenade, – robe de dîners et de soirées, si elles sont en situation d’assister à ces sortes de réunions. »

Le soir il y a donc les dîners, les plus fréquents, et parfois des soirées, voire des soirées dansantes. Les toilettes vont alors du moins décolleté au plus décolleté.

« Le matin et jusqu’à quatre heures, le costume en laine, ou bien mélangé de soie ou de velours. Depuis quatre heures, la soie avec mélange de peluche ou de soie unie si la robe est brochée, de soie brochée si la robe est unie. Pour les dîners, les robes de teintes claires plus ou moins ornées, avec corsage plus ou moins ouvert. Voilà en l’année 1880, comment on gradue la toilette. » (La Mode Illustrée, 12 décembre 1880)

robes de bal et de dîner 1880
À gauche toilette de bal en satin uni et broché, (pas de légende pour celle de derrière), au milieu toilette de bal en faye, à droite toilette de dîner en satin. La Mode Illustrée, 8 février 1880.

En janvier 1880, les toilettes de dîners, soirées et bals sont majoritairement en satin (qui « s’est partout substitué à la faille »). Sauf les jeunes filles qui ne portent pas de robes en satin, ni même de jupes en satin, celui-ci étant considéré comme très paré. Par contre elles peuvent porter des garnitures en satin (soit des décorations de toilettes) voire des corsages en satin en forme de jaquette, et ce même pour le bal.

En lisant ces magazines anciens on s’aperçoit à quel point ce sont les matières qui sont ou non à la mode et qui déterminent le luxe des toilettes. La grande nouveauté de l’hiver 1880 (n° du 7 novembre 1880), ce sont les satins différents qui ont éclipsés la faille (restée à la mode très longtemps). La faille est une étoffe de soie, et c’était apparemment la seule permise aux jeunes filles parmi les soieries d’hiver, ce qui pose un problème à Emmeline Raymond :

« La faille représentait une transition nécessaire entre la robe de lainage et la robe de grande parure. Sa défaveur crée une lacune. On la comble, pour le moment, en donnant un degré d’élégance supérieur à certaines toilettes de lainage. On les mélangent avec de la soie brochée, avec des nattés de soie à damiers de deux couleurs, avec du velours, surtout du velours frappé. »

Parce qu’il faut noter que l’année 1880 met à la mode les robes utilisant deux tissus différents. Mode qu’Emmeline Raymonde, l’économe, adore ! Aussi bien pour les toilettes de visites que pour celles de dîners et de soirées, on mélange tissus à motifs noirs (feuilles et feuillages, ou encore motifs fantaisie pique, coeur, carreau ou trèfle) avec des satins unis ou des velours unis. Pour les réunions très élégantes du soir on peut même associer deux couleurs différentes (ce que l’on évite en journée).

Concernant la défaveur de la faille, elle est persuadée que l’on reviendra aux taffetas brillants (ce qui veut dire qu’en cette année 1880 ils sont dédaignés).

Toilette du soir 1880 La Mode Illustrée
Robe de faye et velours, La Mode Illustrée, 8 février 1880.
La preuve que malgré le déclin de le Faye, elle reste quand même bien présente dans le magazine.

Dans les toilettes du soir, en janvier 1880, on voit beaucoup de « corsages sans manches ». Mais attention, cette expression veut en réalité dire qu’il y a des manches demi longues en tulle ou en dentelle. Donc on montre un peu la peau mais pas trop. Au point qu’on porte même la dentelle en guimpe (c’est-à-dire qu’elle va couvrir le décolleté) quand le corsage est ouvert (soit décolleté).

« Les robes noires qui, même et surtout en tissus transparents, seront fort à la mode cette année, ne peuvent avoir un corsage qui ne serait pas entièrement doublé. On fera exception à cette règle pour celles de ces toilettes qui seront portées le soir ; mais non en traitant ces corsages d’après l’ancienne méthode, qui consistait à faire le corsage servant de doublure décolleté et à manches courtes. La doublure des manches pourra disparaître, mais seulement sur le dessus du bras. Le corsage de dessous sera, non pas décolleté, mais échancré à l’encolure, c’est-à-dire en cachant les épaules, qui, en aucun cas, ne peuvent être découvertes sous un corsage montant fait en tissu transparent. Cette mode des manches sans doublure sur le dessus du bras et des corsages de dessous, échancrés en forme de fichu, sous le corsage transparent montant, pourra servir à moderniser une ancienne robe de grenadine noire. » (La Mode Illustrée, 13 juin 1880).

La toilette de soirée dansante aka la toilette de bal

Ce que l’on peut avoir tendance à ignorer aujourd’hui c’est que l’on porte deux types de toilette aux soirées dansantes :

  • les toilettes des femmes qui dansent
  • les toilettes des femmes qui ne dansent pas

Parce que oui, en fait, toutes les femmes ne dansent pas dans les bals.

Quand on danse, on porte une robe de couleur très claire : blanc, rose, bleu pâle, vert pâle. Le tissu doit être très léger voire transparent (tarlatane, organdi blanc uni, mousseline).

Quand on ne danse pas la robe doit être de teinte moyenne ou foncée. Elle peut même être noire agrémentée de dentelle noire. La dentelle noire ne peut être utilisée que pour les robes noires, tandis que la dentelle blanche peut s’employer sur toutes les robes, y compris les noires.

« Une toilette de bal proprement dite se compose invariablement d’une robe en tulle, ou tarlatane, ou crêpe, avec dessous en soie ; fleurs et rubans. »

En l’espèce il ne faut, à mon avis, pas comprendre « dessous en soie » comme les dessous, mais plutôt comme le fond de robe. On porte toujours un tissu transparent sur une fondation de robe en soie.

Robe de dîner en 1880
Robe de dîner. La Mode Illustrée, 31 octobre 1880.
Là on a un exemple de robe du soir pas du tout décolletée.

La toilette blanche a vraiment les faveurs des bals (quand on danse) :

« Si l’on danse dans les châteaux, si quelques bals précoces se donnent au mois d’octobre, c’est cette toilette en satin blanc, et mousseline de l’Inde ornée de noeuds en ruban de satin blanc, qui aura le plus de succès. » (La Mode Illustrée, 19 septembre 1880) => ici la mousseline de l’Inde est, semble-t-il, une mousseline de coton.

Et c’est plus généralement la toilette de base des jeunes filles :

« La toilette toute blanche devient de plus en plus l’uniforme des jeunes filles pour les réunions du soir. » (La Mode Illustrée, 14 novembre 1880)

Ces toilettes sont dans des lainages blancs très légers.

Young beauty in a white dress de Julius Leblanc Stewart
Young beauty in a white dress, Julius Leblanc Stewart.
Je ne connais pas la date du tableau, mais je trouve que ça illustre pas mal la fameuse robe blanche de jeune fille avec quelques transparences.

Pour les femmes moins jeunes, on porte davantage de couleurs dans les toilettes du soir (dîners, soirées non dansantes) :

« Le rouge, avec ses tenants et ses aboutissants sera toujours en grande faveur pour les toilettes du soir. Les gris-bleu et le jaune bouton d’or partageront cette faveur. » (La Mode Illustrée, 26 septembre 1880)

L’étoffe à la mode en novembre 1880 sont « les gazes de soie damassées, dont on brodera parfois les dessins avec des perles blanches, mates ou mêmes des perles dites pluie de diamants ».

À propos des traînes (ou queues)

« Les traits caractéristiques de la mode en cet été de 1880 sont, d’une part, l’adoption de la robe ronde (sans queue) même pour les toilettes destinées aux réunions du soir, et d’une autre, la faveur universelle accordée à l’étoffe que l’on nomme surah. » (La Mode Illustrée, 18 juillet 1880)

Dans le n° du 28 novembre de la même année, on voit que l’adoption de la robe sans traîne n’est pas aussi largement répandu que ce qu’Emmeline Raymond avait prophétisé :

« La mode des robes rondes (autrement dites sans queue ou traîne) s’est universellement imposée pour les toilettes portées pendant le jour. Même pour les toilettes du soir, beaucoup de jeunes filles ont abandonné la robe à queue et sont vêtues plus conformément à leur âge avec une robe qui n’est point tout à fait courte ni trop longue. »

La robe ronde (courte) le soir reste quand même largement l’apanage des jeunes filles. Cependant on voit beaucoup de « queues mobiles » qui s’adaptent au bord inférieur du lé de derrière. Ajouter une queue le soir confère un plus haut degré d’élégance à la toilette.

toilette de bal de l'année 1880
Toilette de bal, modèle de chez Madame Coussinet, La Mode Illustrée, 18 janvier 1880

Et sous les robes ça se passe comment ?

Emmeline Raymond nous dit que « les jupons blancs sont attribués uniquement aux toilettes du soir (dîners et réunions). On n’en voit jamais à la ville ». Les jupons sont en tissus de laine, soie ou peluche.

Robe de dîner 1880 La mode Illustrée
Robe de dîner. La Mode Illustrée, 31 octobre 1880.
Une robe que, je vous avoue je trouve un peu chelou.

Voilà je crois que j’ai fait le tour des informations sur les robes du soir contenues dans l’intégrale de 1880 de la Mode Illustrée. J’espère que cela servira. À venir le décryptage des toilettes de journée et la question des pardessus, largement méconnue dans le milieu du costume français que je fréquente.

 

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