La garde-robe « indispensable » d’une Parisienne en 1880 (2)
Après avoir consacré une première partie sur les différentes toilettes de la journée présentées par Mme Emmeline Raymond dans Le secret des Parisiennes, je vais revenir sur les éléments annexes d’une tenue (mais absolument indispensables).
La lingerie
Par lingerie, Mme Emmeline Raymond me paraît entendre les pièces de linge qui dépassent de la tenue comme les cols et les poignets. Elle évoque les jupons (dont je parlerai un peu plus bas), mais en aucun cas les chemise de corps, pantalon, corset et tournure. Ici donc elle nous explique qu’il y a une lingerie adaptée aux différentes heures. Ainsi « la lingerie sera entièrement unie pour les toilettes matinales« , tandis que pour les demi toilettes les « cols et poignets sont bordés d’une mignonne bande festonnée et brodée ayant trois quarts de centimètres de largeur. L’élégance de la broderie est tout entière dans sa finesse ». La lingerie qui accompagne les toilettes plus parées est, elle, en batiste ou toile-batiste et mélangée de dentelle de valencienne ou de guipure blanche (avec des papillons, des fleurs ou des arabesques de dentelle en guise de décoration). Encore une fois « le luxe consiste dans l’extrême finesse des dentelles ».
La lingerie des toilettes du soir est, quant à elle beaucoup plus riche, mais il est absolument impensable de montrer « des sous manches de tulle ornées de dentelles et de ruban » le jour dans la rue !
Mme Emmeline Raymond, qui attache une énorme importance à l’économie, nous dit cependant :
« surtout, surtout… point de mesquines économies faites aux dépens d’une netteté scrupuleuse ».
Les accessoires
Selon Mme Emmeline Raymond c’est le soin aux détails qui donne aux toilettes les plus simples un aspect élégant. Ainsi, si l’on fait des économies sur les robes, on n’en fait pas sur les gants, les chaussures et les chapeaux. Des gants « fanés, décousus, qui ont perdu un bouton » sont impensables tout comme il est impensable de sortir avec un chapeau qui ne respecte pas scrupuleusement la forme à la mode.
- Les gants : le matin, on ne porte surtout pas de gants de nuances trop claires. On préfère des tons bruns et chamois plus ou moins foncés selon que la toilette est plus ou moins élégante. « Les gants blancs et les gants jaune paille ne se portent jamais pendant le jour ». D’ailleurs, « lorsqu’elles vont au spectacle, à quelque dîner ou bien à quelque soirée, elles mettent par dessus leurs gants blancs ou jaune, de gros gants en cachemire lesquels en garantissant leurs mains contre le froid, préservent en même temps la fraîcheur de leurs gants et permettent à ceux-ci de se montrer parfaitement intacts. »
- Les chaussures : le matin en été, on opte pour des « bottines en légère étoffe de laine gris clair garnies de maroquin gris » ou des bottines en maroquin brun doré. Les bottes, quant à elle, ont eu un succès limité, nous dit Mme Emmeline Raymond, et elles ne peuvent, de toute façon, pas être portées en été.
- Les chapeaux : selon Mme Emmeline Raymond on peut se contenter de deux chapeaux pour l’été. Quant aux brides, si elles sont trop molles, elle nous conseille de placer une épingle à l’intérieur de chaque boucle pour bien étaler le nœud et le maintenir en place. On ne jette surtout pas un chapeau démodé, on le recoupe ! Ainsi les chapeaux se voient ajouter et enlever des éléments afin de rester toujours à la pointe de la mode. On peut par exemple utiliser un chapeau de visite d’hiver pour remplir le service actif du matin (mais en prenant soin, dans ce cas, de le débarrasser de ses plumes). Les chapeaux, quand ils sont gris ou noir, doivent avoir des rubans ou des fleurs de couleur tranchante pour réveiller le tout.
- La pointe en dentelle de laine ou de chantilly est, apparemment, idéale pour les toilettes d’été que l’on peut porter sur le pardessus lorsqu’il est identique à la robe. Cependant, il n’est pas question de porter une pointe en dentelle avec une robe qui coûterait moins de 70 ou 80 francs. Elle est donc réservée aux robes en soie, foulard, organdis… Pour le moment je ne visualise pas tellement ces pointes en dentelle, mais je me pencherai sur la question.
- Le pardessus : Mme Emmeline Raymond nous dit que les paletots et pelisses de taffetas noir vont avec tout, mais qu’ils coûtent cher, elle conseille donc aux bourses légères d’opter pour un pardessus ou un paletot pareil à la robe (dont la garniture est donc la même que celle de la robe).
- Les sacs : Mme Emmeline Raymond donne aussi des conseils pour porter élégamment un sac ; il faut laisser la poignée reposer sur l’avant bras que l’on ramène contre soi. Non seulement ça permet de rester élégante, mais aussi de garder les mains libres pour un éventuel manchon ou un parapluie (parce qu’à Paris, même en 1880, il pleut beaucoup).
- Le châle est un basique indémodable. Il ne change pas et peut se porter avec absolument tout. « Les Parisiennes économes portent beaucoup de châles. »
Au niveau des teintes, le même principe que pour les toilettes de jour est observé pour les chapeaux et pardessus.
Les jupons
La partie sur les jupons m’a beaucoup étonnée. Green Martha a écrit un article très intéressant sur les jupons de la période 1890 où elle nous explique que le jupon est loin d’être toujours blanc comme nous pouvons avoir tendance à le penser en tant que costumiers amateurs. C’est également vrai pour la décennie 1880. Mme Emmeline Raymond indique à ses lectrices que les Parisiennes ont au moins deux jupons (en étoffe de laine plus ou moins légère) :
- un jupon simple pour la toilette du matin et les jours de pluie : celui-ci est « blanc et noir à rayures ou bien à carreaux avec une modeste garniture en velours ou bien un galon de laine ». Ce jupon est « le jupon de tout le monde ».
- et l’autre plus élégant et plus neuf pour les jours clairs et secs et les toilettes de visites : celui là « sera fait en cachemire gris, noir ou blanc, il sera orné de galon cachemire, ou de galon écossais, ou de broderie orientale ou même d’entre deux en imitation de dentelle noire.
Le jupon est d’autant plus important que la mode est aux jupes relevées à la ville, nous dit-elle. Néanmoins la décoration des jupons ne connaît pas de règles et est laissée au libre goût de leurs propriétaires.
Le blanc pour les jupons est délaissé pour les tenues de jour en raison de la boue et du macadam. Le jupon de couleur est donc de rigueur en journée, le jupon blanc ne sort qu’avec les toilettes de soirée et de bal.
Mme Emmeline Raymond nous donne un autre secret des Parisiennes pour rester élégante en toute circonstance, même chargée de paquets : « une poche immense attachée au jupon« . Cette poche de « 50 centimètres de longueur », Mme Emmeline Raymond l’ajoute sur tous ses jupons d’hiver afin de garder les mains libres ! (Et là j’ai envie de dire : merci Mme Raymond !)
Voilà, j’ai fait à peu près le tour de ce livre, qui était une vraie mine d’or. Il ne faut pas prendre pour parole d’évangile tout ce que nous a dit Mme Emmeline Raymond, mais ses prescriptions constituent une bonne base pour se faire une idée précise de la garde-robe d’une femme au début des années 1880. Il me reste de nombreuses choses à étudier, mais ce Secret des Parisiennes m’a déjà donné pas mal à réfléchir.
Tout ce qui est entre guillemets est tiré du livre Le secret des Parisiennes suivi de Mélanges, par Mme Emmeline Raymond, Bibliothèque des Mères de famille, 1883 (2e édition). Source : Gallica.
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La pointe en dentelle est une sorte de châle, de ce qui semble ressortir de mes lectures, mais en dentelle. La pointe en Chantilly, c’est pas mal prout-prout quand même ! 🙂
Pour la poche sur les jupons, il me semble qu’Emilie en avait montré quelques-uns qui avaient effectivement une poche. En fait, les femmes de la fin du XIX° étaient plus intelligentes que nous en matière de poches : poches à ombrelles, poches sur les jupons, poches sur les jupes (pour ma période, coincée dans l’ouverture de la jupe dans le dos, ou dans une couture sur le côté).
Pour la lingerie, sur ma période les cols et manchettes (présentés comme un kit assorti) sont souvent encore présentés à côté de chemises et pantalons. Par contre ils ne ressortent pas dans les textes, j’ai l’impression (à confirmer par mes recherches ultérieures) qu’ils sont moins un élément de base de la garde-robe que dix ans plus tôt. Il faudrait voir s’il y a des textes sur chemise, pantalons, etc… et voir comment ils sont nommés – peut-être plutôt sous l’appellation « linge » ?
plein de recherches en perspective ^^
Dans le magazine Paris Charmant de 1881 que j’ai trouvé sur Gallica il y a une page consacrée aux pantalons et chemises et je pense que c’est appelé « lingerie » sauf que le magazine est en espagnol du coup ça fausse tout. :-/
Perso, j’aurais tendance à penser que l’appellation qui recouvre les pantalons, chemises, et corset serait plutôt « linge de corps » ; la lingerie désignerait alors les éléments qui les recouvrent (cache corset, jupons). Mais je peux me tromper ^_^!
Je viens de retomber sur une citation de la Mode Illustrée de 1880 qui confirme ma première impression sur ce que recouvre l’appellation « lingerie » : « Tous les pardessus, sans exception, auront leur encolure (quand celle-ci sera tout-à-fait montante) garnie d’une grosse ruche ou fraise, en dentelle blanche, ou bien en tulle point d’esprit blanc ; cette ruche représentera la lingerie trop souvent et trop complètement cachée par le pardessus. » – donc je pense vraiment que « lingerie » recouvre les cols et manchettes très à la mode autour de 1880.
Merci. Vos articles m’ont été très utiles.
Connaissez vous La Sylphide Gallica ?
Enfin , Fabienne Yvert (L’endiguement des renseignements- Editions Attila) qui a dirigé la Mode Illustrée de 1860 à 1902
Tant mieux, merci à vous. 🙂
Oui, j’ai déjà vu La Sylphide sur Gallica, mais je n’ai pas pris le temps de les éplucher. D’ailleurs je mets ici un lien qui renvoie vers toutes les revues de mode numérisées sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/html/und/presse-et-revues/presse-de-mode
Merci pour la référence de livre, c’est intéressant. Je crois que c’est Emmeline Raymond qui était rédactrice en chef de la Mode Illustrée par contre, Fabienne Yvert m’a l’air d’être une autrice contemporaine. 😉
Un petit message qui ne servira peut-être pas à grand chose. Ma mère a retrouvé à la mort de l’arrière-grand-mère de mon père des pantalons, jupons et des chemises. Il faut savoir que mon arrière-arrière-grand-mère est née dans années 1870 donc que ces sous-vêtements dates de l’époque où elle était mariée donc après 1890 au moins et elle était agricultrice, pas du tout une femme de la ville ou une « coquette ». Après cette introduction un peu complexe j’en viens aux faits : ses jupons, pantalons et chemises étaient en coton et colorés (mais pas tous). J’étais surprise de découvrir des pantalons rose pâle avec une large broderie anglaise en coton. Ce n’est pas ce que devait porter une parisienne, surtout « aisée » mais je trouvais cela intéressant. Certains pantalons ont été acheté puisque cousus à la machine et que mon ancêtre n’a eu sa première machine qu’après la Première Guerre Mondiale. Ils avaient subi des modifications à la main : pli religieuse pour raccourcir les dit sous-vêtement. Pour ce qui est des jupons, ils étaient fort simples sans grandes décoration, pas de rubans et des toiles très simples, pas de belles dentelles etc mais j’imagine que la vie à la ferme ne permettait pas de porter de belles toilettes. Les dentelles fines et les vaches ne devaient pas faire bon ménage ^^
Merci pour ces informations, c’est intéressant !