Le mythe de la Parisienne en 1880 – Généralités
Avec cet article (et ceux qui vont suivre) j’inaugure une nouvelle catégorie sur ce blog : Histoire du costume. Je me propose de ranger, dans cette catégorie, le résultat de mes recherches concernant le costume historique (et je préfère d’ailleurs parler de mode, car il faut garder à l’esprit que toutes ces robes qui nous font rêver aujourd’hui vivaient leur vie de robe, étaient maintes fois reprises et mises au goût du jour).
Mes centres d’intérêts en tant qu’ancienne étudiante en histoire de l’art portent sur la naissance des avant-gardes, qu’elles datent de 1870, 1910 ou 1960. Je suis fascinée par la formation des avant-gardes, et on ne peut pas étudier une avant-garde sans observer la société qui l’a vue naître. À cet égard la deuxième moitié du XIXe siècle m’intéresse beaucoup : non seulement parce que la mode de cette époque me plaît, mais aussi parce que les bouleversements dans la société, l’art et la littérature sont assez passionnants. Il est donc probable que mes recherches en rapport avec le costume porteront principalement sur cette deuxième moitié du XIXe siècle (chacun son dada ^^).
La Parisienne, what else ?
Comme je l’avais déjà évoqué sur ce blog, j’ai envie de me pencher sur la garde-robe des femmes en 1880. En parallèle de mon projet de polonaise qui avance tranquillement, j’ai donc commencé à faire des recherches de périodiques de mode des années 1879 à 1881 sur les ressources numérisées de la BNF : Gallica. Ce site est une mine d’or quand on ne cherche rien de précis et je suis donc tombée, complètement par hasard, sur un livre passionnant dont je devais à tout prix vous parler :
Le secret des Parisiennes, suivi de Mélanges, par Mme Emmeline Raymond, Bibliothèque des Mères de famille, 1883 (2e édition).
Cette Mme Emmeline Raymond est une rédactrice la rédactrice en chef de la revue « La Mode Illustrée« , et le texte qui nous intéresse (Le secret des parisiennes) semble être une compilation de chroniques publiées dans la-dite revue. Ce qui m’ennuie c’est que je ne connais pas la date de parution de ces textes dans la Mode Illustrée. Je doute qu’ils soient antérieurs à 1880, mais la question a son importance, vous le verrez dans le prochain article, parce qu’elle y décrit la garde-robe indispensable d’une vraie Parisienne.
Avant d’entamer la question de la garde robe (qui nous intéresse particulièrement ici), j’aimerais revenir sur ce mythe de la Parisienne que l’on connaît sans connaître. Si je m’en réfère au texte écrit par Françoise Tétart-Vittu dans le catalogue de l’exposition L’impressionnisme et la mode, qui a eu lieu au musée d’Orsay l’hiver dernier, l’idée de la Parisienne naît dans les années 1863-1869 et est associée à un côté canaille. Dans les années 1874 et 1875, Renoir puis Manet peignent la Parisienne et l’élèvent au rang de l’élégance suprême. Dans les années 1880 l’archétype de la Parisienne est bien établi toujours selon Françoise Tétart-Vittu, il n’est donc pas étonnant de le retrouver dans les chroniques de Mme Emmeline Raymond. Pour ma part je croyais que l’élégance de la Parisienne signifiait qu’il s’agissait d’une femme coquette, toujours à la pointe de la mode, qui étrennait de nouvelles toilettes à chaque sortie. Sur ce dernier point Mme Emmeline Raymond m’a très vite détrompée en notant bien qu’il y a Parisienne et Parisienne. Il y a la Parisienne cocotte et flambeuse et il y a la Parisienne économe. Or, la vraie Parisienne, c’est cette dernière (en tout cas selon Mme Emmeline Raymond).
« Quand on habite loin de Paris, on s’imagine volontiers que la mode change chaque jour, et que l’on aurait un aspect suranné en portant des vêtements ou même des ornements de robe déjà connus (…) »
Pourtant, c’est parfaitement faux. Ce texte tiré de « La Mode Illustrée » nous fait donc prendre conscience qu’une vraie Parisienne use ses robes jusqu’à la moelle. Elle reporte les mêmes toilettes encore et encore en restant pourtant à la pointe de la mode.
« La principale condition à observer, si l’on veut agir avec l’habileté qui caractérise les Parisiennes, est d’abord de n’acheter que le strict nécessaire, en fait de toilettes, et de porter ces toilettes dès qu’elles sont faites, c’est à dire pendant qu’elles sont à la mode. (…) Point de provisions en fait de toilettes ! (…) Les personnes qui sont disposées à faire des accumulations inutiles sont toujours mal vêtues car elles adoptent une mode quelconque, seulement au moment où les autres femmes, mieux avisées, l’abandonnent pour suivre les prescriptions de la mode nouvelle. »
Les Parisiennes préfèrent donc des robes simples, de couleurs sobres qui vont avec tout et aux garnitures simples qui les préservent « des bouleversements trop soudains ». Tout cela est possible car « les changements procèdent par transitions, par lentes transformations, et plutôt dans l’ensemble que dans les détails du costume », c’est ainsi que l’on transforme volontiers les quelques robes que l’on possède afin de les mettre au goût du jour. C’est une époque où les femmes ont appris à modifier les garnitures pour pouvoir renouveler leurs vêtements démodés. Mme Emmeline Raymond indique que les tâches des femmes ont changées. Avant elles brodaient pour faire des choses très belles et inutiles tandis qu’aujourd’hui (en 1883) elles cousent plutôt qu’elles ne brodent car « l’utilité est la devise de notre siècle ». Si ce développement de la couture domestique joue un rôle important dans l’économie des ménages, la rédactrice de « La Mode Illustrée » estime que ce « travail utile retient une femme au logis » en la préservant des tentations et en lui apprenant à aimer et à s’occuper de sa maison.
Ainsi la vraie Parisienne selon Mme Emmeline Raymond est raisonnable et économe, mais de quoi doit être constituée sa garde robe de base ? Comment parvient-elle à être toujours élégante ? C’est ce que nous verrons dans la suite de cet article…
Lire la 2ème partie de l’article
Lire la 3ème partie de l’article
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Je suis curieuse de lire le texte de Françoise Tétart-Vittu du coup, parce que comment passe-t-on d’une image de femme pas très respectable à cet idéal de mode ?
Une chose à propos d’Emmeline Raymond (qui au passage, est la fondatrice et rédac’ chef du journal) : d’une part elle est excessivement conservatrice (très remontée contre la Commune, très « les femmes à la maison »…), d’autre part il y a, dans son journal, une dichotomie entre la présentation d’un côté de la toute dernière mode, avec les produits des grands Magasins du Louvre, les gravure très pointue et très chwanana, les articles sur les dernières nouveautés, etc., et de l’autre, tout ce qui s’adresse à une abonnée type visiblement plus fauchée (il faut bien le dire), avec des trucs pour suivre la mode et globalement tenir un budget et une maison à moindre frais – si tu compares les tenues décrites dans les passages relevant de la deuxième catégorie avec le reste, il y a une énorme différence. L’image de la « Parisienne économe » est à remettre en perspective, selon moi. Une Emmeline Raymond, pétrie de conservatisme et de morale chrétienne, ne peut pas se permettre de faire de son journal un ode à la frivolité – pour des raisons morales mais aussi parce que le gros de ses abonnées (LMI a une énorme diffusion quand même) n’ont pas les moyens de s’offrir une nouvelle fringue toutes les semaines.
Le texte de Tétart-Vittu ne rentre pas dans le détail de cette évolution de la Parisienne. Je ne sais pas s’il y a eu des études là-dessus, mais je pense que ça vaudrait le coup de se pencher dessus en effet.
C’est le côté conservatisme/morale qui m’amuse dans ces chroniques en effet. Dans la suite, je vais développer la garde-robe des « indispensables » qu’elle décrit et elle se base clairement sur des revenus très moyens en disant bien que quand on est plus riche on peut davantage se lâcher. Mais je le trouve très intéressant ce texte parce qu’il parle justement des « basiques » (c’est ce que je cherchais et je l’ai trouvé par hasard) et d’un certain point de vue, les conseils qu’Emmeline Raymond donnent sont intemporels et pourraient presque s’appliquer aujourd’hui.
A ceci prêt que nous ne faisons plus trop nos vêtements de tous les jours et que les tissus n’ont plus la qualité nécessaire pour durer vingt ans.
Mais il est intéressant de la mettre en perspective avec la mode actuelle et les magazines de mode actuels – ce côté « non mais n’achetez pas trop quand même » a pour ainsi dire disparu…